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LES MARQUES DE REGISTRE: À QUOI ÇA SERT DANS LES DICTIONNAIRES BILINGUES?
(Le cas de la lexicographie bilingue bulgare/français)

Jeanna Kristeva

web


Ðåçþìå: Ñòàòèÿòà å ïîñâåòåíà íà ðîëÿòà íà êâàëèôèêàòîðèòå çà äèàôàçíè è äèàñòðàòè÷íè âàðèàöèè â ïîëåòî íà äâóåçè÷íàòà ëåêñèêîãðàôèÿ. Ðàçãëåæäàò ñå ïðîáëåìè, ñâúðçàíè ñ ïðåíîñà íà ñïåöèôè÷íè âàðèàöèîííè åëåìåíòè â ðàçëè÷íà ñîöèîëèíãâèñòè÷íà ðåàëíîñò. Îáåêò íà àíàëèç ñà ôðåíñêî-áúëãàðñêè è áúëãàðñêî-ôðåíñêè ðå÷íèöè, ñúñòàâåíè îò íîñèòåëè íà áúëãàðñêèÿ åçèê, â êîèòî òðàêòîâêàòà íà èíôîðìàöèÿ îò ñîöèîëèíãâèñòè÷íî åñòåñòâî ñå îïðåäåëÿ îò ôóíêöèÿòà íà ðå÷íèêà ñ îãëåä íà èçáîðà íà åçèêà-öåë.
Êëþ÷îâè äóìè: ðå÷íèê, äâóåçè÷íà ëåêñèêîãðàôèÿ, äèàôàçíè è äèàñòðàòè÷íè âàðèàöèè

Abstract: The present paper is dedicated to the functionality of the marks relating to diaphasic and diastratic variation in the specific field of bilingual lexicography. The problems that are analyzed refer to the transfer of variational traits in another sociolinguistic reality. Object of this study are the French-Bulgarian and Bulgarian-French dictionaries whose decoding or encoding function determines the use that is made of sociolinguistic information.
Keywords: dictionary, bilingual lexicography, diaphasic and diastratic variation


Le niveau peut être apprécié indépendamment du message[...].
Il pourra, lors des opérations de découpage,
être porté en marge du texte; un peu comme on inscrit
la tessiture d’un morceau de musique à la clef.

(Vinay, Darbelnet 2008: 33)

1. En guise d’introduction

Le Dictionnaire bilingue fait l’objet de plusieurs lectures - celle du natif et du non-natif, du locuteur averti, traducteur, interprète, lexicologue, lexicographe ou professeur, mais aussi celle de l’apprenant, de l’utilisateur pragmatique, de l’amoureux de la langue, du curieux. Face à cette diversité d’usagers la responsabilité des auteurs de dictionnaires s’avère particulièrement lourde pour assurer aussi bien la qualité de la description linguistique que la fonctionnalité de l’ouvrage. Et surtout quand on n’a pas le privilège de travailler pour une langue de large expansion et que l’offre dictionnairique est moins diversifiée, comme c’est le cas de la lexicographie bulgare.

Nous pouvons affirmer en toute sincérité que le marquage relatif aux variétés d’usage est en quelque sorte le parent pauvre du travail dictionnairique bilingue, centré sur la composition de la nomenclature, l’architecture et le contenu de la microstructure, l’adéquation des équivalents dans la langue-cible. Tradition oblige, les dictionnaires bilingues se limitent à présenter en début d’ouvrage et habituellement, en deux colonnes qui sont rarement mises côte à côte, le tableau des abréviations des marques d’usage qui figurent dans leurs articles. Empruntés très souvent aux dictionnaires monolingues de référence mais en nombre réduit, les tableaux ne proposent pas de définition aux marques codifiées et s’appuient sur les connaissances linguistiques des consommateurs potentiels pour pallier ce silence.

Ceux-ci, locuteurs confirmés ou inexpérimentés, consultent principalement le dictionnaire bilingue pour connaître le sens ou l’emploi d’un mot, d’une collocation, d’une expression figée et le recours qu’ils font aux indications d’usage dépend de leur statut d’allophone ou de natif, c’est-à-dire de la fonction du dictionnaire, à savoir de décodage ou d’encodage. Or, sens et emploi sont indissociables car la véritable maîtrise d’une unité lexicale suppose non seulement de posséder sa signification exacte mais également de connaître ses conditions d'emploi : son registre, ses connotations, ses contextes typiques, ses constructions, etc. Comment se renseigner sur "les mœurs" du mot ou de l’expression?

Alain Rey, dans sa préface à la deuxième édition du Grand Robert (1984-2001), reproduite dans l’édition numérique de 2013, nous en donne la réponse en mettant presque sur un pied d’égalité exemples et marques d’usage.

Comment en rendre compte dans un dictionnaire? D'abord, on l'a vu, par des mises en contexte réelles ou vraisemblables, sous forme d'exemples et de citations. Ensuite, sous forme de "marques d'usage", très nombreuses, qui qualifient non seulement les mots et leurs assemblages, mais aussi leurs emplois, leurs nuances. Ces marques sont de diverses natures et esquissent - très grossièrement - une configuration des usages de la langue (Rey 1993).

2. Perspectives de la recherche

Notre objectif ici sera de réfléchir sur l’utilité des marques relatives à la variation diaphasique et diastratique dans le domaine spécifique de la lexicographie bilingue. Nous nous proposons aussi de soumettre à l’analyse les écarts liés au transfert de réalités socioculturelles spécifiques des deux langues mises en contact et d’examiner la charge connotative qui en résulte. Notre contribution portera sur les dictionnaires traitant du français et du bulgare dont la fonction de décodage ou d’encodage détermine l’usage que l’on fait des renseignements d’ordre sociolinguistique.

Les réflexions présentées émanent des travaux d’élaboration de deux nouveaux grands dictionnaires bilingues, notamment le Dictionnaire français-bulgare, comportant 60 000 entrées, dont la première publication date de 2002 et qui a été remis à jour et réédité en 2016, et le Dictionnaire bulgare-français, riche de 70 000 entrées, paru en décembre 2013.

Les deux équipes, qui ont conçu et élaboré les dictionnaires et auxquelles nous avons participé, étaient composées d’enseignants-chercheurs de français au Département d’études romanes de l’Université de Sofia "Saint Clément d’Ohrid", tous natifs du bulgare.

3. Dictionnaires de décodage - le cas du Dictionnaire français-bulgare

Le Dictionnaire français-bulgare est un dictionnaire de décodage malgré l’intention annoncée de servir aussi les usagers francophones. Le dictionnaire de référence monolingue français est le Nouveau Petit Robert dont la macrostructure et le répertoire des marques d’usages sont plus ou moins fidèlement reproduits. Le tableau des abréviations est traduit en bulgare mais sans faire état des définitions des marques référant aux différentes catégories d’usage de la langue. Il est notoire que les dictionnaires Robert sont les seuls à proposer une définition de chaque marque utilisée malgré les réserves énoncées par le responsable de l’équipe de rédaction à l’égard d’un classement si grossier (voir supra).

Dans notre dictionnaire les marques d’usage, y compris les indications diaphasiques et diastratiques (familier, littéraire, populaire, argotique) qui nous intéressent ici, apparaissent derrière la vedette de l’article pour fournir un renseignement sur les valeurs d’emploi dans la situation de communication et dans la société, tant pour les termes monosémiques que pour les termes polysémiques dont toutes les acceptions relèvent du même registre.

bosser ãë. ñ äîïúëí. ðàçã. áà÷êàì

mochard ïðèë. ðàçã. âúçãðîçåí, ãðîçíîâàò; ðàçã. êîôòè, ñêàïàí

dingue ïðèë. ðàçã. ñìàõíàò, ñòðàíåí; íåâåðîÿòåí

Quand l’unité en entrée est polysémique, la marque ajoutée figure dans le corps de l’article pour opérer une discrimination sémantique et spécifier l’appartenance à un niveau de langue1, par exemple:

piocher ãë. ñ äîïúëí. êîïàÿ, ðàçêîïàâàì; ïðåí. è ðàçã. áà÷êàì, çóáðÿ

puce ñúù. æ.ð. áúëõà; ðàçã. äðåáîñúê

gueuelante ñúù. æ.ð. ó÷åí. àðãî èçöåïâàíå, âèêîâå çà ïðîòåñò èëè îäîáðåíèå; ðàçã. ãíåâíî èçáóõâàíå

Le dictionnaire français-bulgare fait l’économie du marquage sociolinguistique des équivalences interlinguales dont la détermination du niveau de langue est laissée à la compétence et au sentiment linguistiques de l’utilisateur. Notons en passant que le lexique présente la caractéristique d’être le lieu d’une variation aisément perçue par les locuteurs, y compris dans leurs propres usages.

La fonction des marques utilisées dans le dictionnaire de décodage est donc de décrire les conditions d’emploi des unités linguistiques de la langue-source et de marquer et organiser les différentes acceptions dans le cas d’un terme polysémique. En même temps, ce type de dictionnaire dont la tâche principale est de présenter les équivalences interlinguales les plus exactes possible, ne se fixe pas pour but la description des conditions d’emploi de ces mêmes équivalences.

En outre, nous estimons qu’il est nécessaire d’analyser un autre aspect du rôle dévolu aux marques d’usage dans les dictionnaires de décodage, celui qui concerne le caractère opératoire des indications diaphasiques (littéraire, familier) et diastratiques (populaire, argotique). Son importance est liée à l’exigence d’une précision rigoureuse dans la description linguistique et dans le choix des équivalents dans la langue-cible, souvent chargés de connotation socioculturelle. Le problème mérite réflexion, vu le caractère arbitraire des catégories, mis en évidence par la disparité dans les dictionnaires monolingues français, d’une part et la spécificité des réalités sociolinguistiques mises en contact, d’autre part.

Nous trouvons que la marque diaphasique littéraire désignant un mot qui n’est pas d'usage familier, qui s’emploie surtout dans l'usage écrit et soutenu et qui a généralement des synonymes d’emploi plus courant, jouit d’un consensus relatif. L’attribution de celle-ci et le choix d’équivalents appartenant au même registre prêtent rarement à discussion. Il paraît que le terrain de l’usage écrit est beaucoup plus stable, paisible et si l’on peut dire, aseptisé, du fait de son caractère normatif.

Le terme opposé sur l’axe diaphasique familier désigne une catégorie assez large en français. Celle-ci correspond aux emplois normaux dans une communication sociale aisée et contient plusieurs degrés de familiarité. Dans la préface du Nouveau Petit Robert Alain Rey attire l'attention sur l’expansion de la marque familier.

L’accueil fait à la langue courante familière constituait une hardiesse qui bousculait la tradition. Or, il n’était pas possible de l’ignorer, depuis que les écrivains s’étaient mis à l’employer librement, et qu’une grande partie de l’argot s’était banalisée dans l’expression orale (Rey 1993: IX).

La tendance au glissement du diastratique au diaphasique que les spécialistes de la langue française constatent, c’est-à-dire le passage de l’argot à la langue familière a créé des usages qualifiés d’argot familier. La subdivision argot familier permet d’intensifier le concept "familier" et en même temps de minimiser l’acceptabilité de son usage dans le discours quotidien spontané.

Contrairement au français où l’indicateur familier réfère à un large éventail d'usages parlé ou écrit de la langue quotidienne, le registre familier de la langue bulgare n’est pas si nuancé. Son caractère plus ou moins homogène le situe plus près de l’usage littéraire et courant, c’est-à-dire de la norme. La variété argotique, de sa part, est une caractéristique exclusive de l’oral, fortement connotée. La différence entre ces deux types d’usage (très souvent mis en relation bien que de nature différente), de même que celle entre les usages écrits et oraux, est beaucoup plus sensible dans la langue bulgare, comparée au français.

Notons que Martin Riegel dans sa Grammaire méthodique du français fait le même constat à propos de la variété des usages du français.

Ces variations elles-mêmes varient selon les langues. En français, par exemple, la variation diastratique est sensiblement moindre, comparée à ce qui se passe en espagnol et en italien, alors que le décalage entre oral et écrit apparaît plus considérable (Riegel 2009: 19).

Ce décalage dans les contours et la perception des niveaux de langue est souvent à l’origine des problèmes d’équivalence dans le dictionnaire français-bulgare. Les équivalents proposés en bulgare à un terme français, marqués comme familier relèvent souvent de l’argot familier ou de l’argot, c’est-à-dire la traduction d’une variété diaphasique par une variété diastratique est assez fréquente.

bouffe ñúù. æ.ð. ðàçã. êëüîïàíå, ïëþñêàíå; êëüîïà÷êà [argot, pop]2

pognon ñúù. ì.ð. ðàçã. ìàíãèçè [argot/ argot fam]

fric ñúù. ì.ð. ðàçã. ìàíãèçè [argot/ argotfam]

La tendance inverse, celle de l’épuration du registre familier et la traduction par un terme neutre, standard se produit, elle aussi, avec une certaine fréquence. Faute de marques de registre explicites, la confusion a parfois des conséquences fâcheuses.

embêter ãë. ñ äîïúëí. ðàçã. äðàçíÿ, äîñàæäàì [neutre]

rouspéter ãë. ñ äîïúëí. ðàçã. ìúðìîðÿ, ìðúíêàì [neutre]

costard ñúù. ì.ð. àðãî êîñòþìàðà [argot]; ìúæêè êîñòþì [neutre]

La préface du Dictionnaire français-bulgare, d’ailleurs, fait mention des écarts relatifs au fonctionnement des registres dans les deux langues parmi les principaux défis lexicographiques à relever.

Un bon exemple de la dimension socioculturelle de l’information fournie par les marques d’usages lexicaux est la marque populaire. A la différence de l’indicateur familier cette marque renvoie d’abord à une classe sociale, celle des milieux sociaux défavorisés caractérisés par une scolarisation insuffisante. Comme le système des registres est un système d’opposition, le tableau des abréviations du Nouveau Petit Robert nous renseigne que cette marque diastratique "qualifie un mot ou un sens courant dans la langue parlée de milieux populaires qui ne s’emploierait pas dans un milieu social élevé” (NPR: XXVIII). La tendance au glissement du diastratique au diaphasique déjà évoquée à propos des marques familier et argotique concerne aussi la marque populaire. Alain Rey dans la préface de la refonte du Grand Robert précise que les emplois populaires "ne sont nullement des marques d'appartenance sociale, par exemple non bourgeoise, mais bien des choix de discours, et qu’ils sont fonction de situations de communication”.

Cette variation diastratique de l’usage lexical français traduit une réalité socioculturelle spécifique, notamment l’opposition populaire-bourgeois, qui ne correspond pas à une telle répartition des classes sociales dans la société bulgare. Dans la langue bulgare la marque populaire (ïðîñòîðe÷èå) est réservée aux emplois propres aux personnes à faible capital scolaire. Quant à l’opposition populaire-bourgeois, celle-ci est fortement connotée car elle réfère à la doctrine marxiste et à l’époque du régime communiste.

4. Dictionnaires d’encodage - le cas du Dictionnaire bulgare-français

Le Dictionnaire bulgare-français dont la conception et la rédaction a suivi le Dictionnaire français-bulgare et qui a été élaboré par une équipe assez modeste (nous étions 5), est le premier dictionnaire d’encodage de si grande ampleur (70 000 entrées) dans la lexicographie bilingue bulgare-français. Ce dictionnaire-ci a aussi l’ambition de servir de dictionnaire de décodage aux utilisateurs francophones.

L’une des tâches lexicographiques principales était l’élaboration de la nomenclature du dictionnaire. Le modèle monolingue de référence était un grand ouvrage lexicographique Le Dictionnaire de la langue bulgare dont la parution s’étale déjà sur une période de 40 ans. Le premier volume a été publié en 1977 et le dernier en date est le volume XV (la lettre Ð).

Élaboré sous l’égide de l’Institut de la langue bulgare auprès de l’Académie des sciences, ce dictionnaire, si riche en information linguistique et culturelle, porte un regard plutôt diachronique sur la langue et ne peut pas fournir une information suffisante sur l’état actuel du bulgare. Celui-ci a sensiblement évolué à la suite des changements socio-politiques et économiques des dernières décennies en Bulgarie, surtout au niveau lexical. Cette évolution a laissé son impact sur la variété des usages lexicaux, et particulièrement sur celles de nature situationnelle et sociale.

Nous, les auteurs du dictionnaire, nous avons assumé la lourde tâche d’adapter la nomenclature du dictionnaire monolingue du bulgare et de revisiter le marquage des entrées.

D’ailleurs l’élaboration d’un corpus monolingue bulgare, spécialement conçu pour la lexicographie bilingue est un sujet assez souvent discuté par les lexicographes bulgares mais pour le moment, c’est une bonne idée qui n’a pas encore trouvé sa réalisation.

Le Dictionnaire bulgare-français a adopté la catégorisation des marques d’usage des dictionnaire monolingues de référence, à savoir le Dictionnaire de la langue bulgare et le Nouveau Petit Robert. Celle-là est présentée en début d’ouvrage comme une simple énumération des marques retenues en français et en bulgare sans commentaire et sans valeurs explicitées.

Le marquage s’applique tant à la macrostructure qu’à la microstructure du dictionnaire. Les termes en entrée sont accompagnés de marques de registre en bulgare, alors que leurs équivalents sont marqués en français.

Les rôles des marques de registre que nous avons mis en évidence lors de l’analyse du dictionnaire de décodage sont toujours fonctionnels, à savoir celui de spécificateur des valeurs d’emploi åtcelui de discriminateur sémantique du terme vedette.

êëå÷êà [`klɛtʃka] æ.ð. 1. bûchette f, bâtonnet m 2. ðàçã. huile f, manitou m, grosse légume f, gros bonnet

êóêà [`kuka] æ.ð. 1. croc m, crochet m; crampon m techn., cramponnet m techn.; harpe f techn. et région.; chat m vx 2. ðàçã. pinailleur, euse n fam., chipoteur, eusen, ergoteur, euse n 3. æàðã. flic m fam., flicard m arg.; flic m en civil

En plus, un nouveau rôle fonctionnel des marques d’usage apparaît, cette fois-ci dans une optique essentiellement traductive. Les équivalents en français marqués ou non marqués sont strictement délimités du point de vue de leur appartenance aux différents registres de langue. Le marquage correct et rigoureux est la garantie de l’équivalence fonctionnelle et permet à l’utilisateur plus ou moins averti de faire un choix pertinent.

ìàíãèçè [man`gizi] æàðã. ìí. fric m fam., pognon m fam., galette f fam., blé m fam., flouze m fam., oseille m fam., maille f fam. (langage des jeunes), thune (tune) f arg.

÷åíãå [tʃɛn`gɛ] ìí. -òà ñð. ðàçã. flic m fam., poulet m fam., bourre m arg., flicard m arg.

Il est légitime, bien sûr, de se poser la question : est-ce qu’une traduction adéquate a besoin d’information ajoutée et n’y aurait-il pas de risque de redondance en explicitant la variété d’usage? En fait, l’information en matière de caractérisation des usages ne peut qu’enrichir la description linguistique et étayer le choix de la bonne traduction. Par contre, le silence dans un dictionnaire bilingue (tout comme dans le monolingue) est beaucoup plus souvent facteur de trouble.

Le marquage des équivalents est également un moyen de pallier le décalage constaté lors du transfert de réalité socioculturelle entre les deux langues mises en regard et en même temps d’assurer une bonne équivalence connotative de la traduction. En cas d’absence de terme ou d’expression équivalents en langue-cible, le dictionnaire doit signaler l’écart, du point de vue diastratique ou diaphasique par exemple, ce que le Dictionnaire français-bulgare ne fait pas.

Enfin, s’ajoute aux fonctions du marquage sociolinguistique déjà énumérées la fonction à visée pédagogique. Souvent professeurs de langue, les auteurs des dictionnaires bilingues restent attachés à la conviction que le dictionnaire bilingue est un outil incontournable dans l’apprentissage d’une langue-culture étrangère. Nous constatons donc dans les articles du Dictionnaire bulgare-français une tendance à l’exhaustivité dans la prise en charge des faits de variation. Les auteurs ont l’ambition de présenter un large éventail de variétés d’usage des équivalents interlinguales, comme par exemple dans les articles ci-dessus de ìàíãèçè et de ÷åíãå.

5. En guise de conclusion - le jeu des marques

Avec cette contribution modeste nous avons voulu dégager les dimensions spécifiques du marquage des registres dans les dictionnaires bilingues (dimension variationnelle, sémantique, socioculturelle, traductive, pédagogique) et analyser les problèmes liés au transfert de traits variationnels dans une autre réalité sociolinguistique.

Pour qu’il soit fonctionnel le système relatif aux variétés des usages lexicaux doit, d’une part, être parfaitement adapté aux finalités propres à l’ouvrage dictionnairique et aux caractéristiques de son utilisateur potentiel, d’autre part, être en cohérence avec les spécificités du contexte sociolinguistique.

L’étude du traitement des variétés de langue dans les dictionnaires bilingues soulève des questions qui dépassent la lexicographie en tant que telle et fournissent des pistes de réflexion aux études stylistiques et sociolinguistiques comparatives.

Et pour finir, nous voudrions partager notre profonde conviction que parler des marques d’usage dans un dictionnaire bilingue demande de vastes connaissances ainsi qu’un bon jugement, mais l’essentiel est d’avoir mis la main à la pâte.

 

 

NOTES

1. Nous utilisons le terme de niveau de langue comme synonyme du terme registre sans entrer dans la discussion terminologique. [retour]

2. Nous donnons entre crochets les marques explicitant l’appartenance variationnelle des équivalents bulgares. Celles-ci ne figurent pas dans l’article dictionnairique original. [retour]

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Melnikienė 2012: Melnikienė, D. Les dictionnaires bilingues lituaniens: des miroirs déformants du français de la France? // SHS Web of Conferences, 2012 <http://www.shs-conferences.org> (25.01.2018).

Rey 1993: Rey, A., Rey-Debove, J. Préface du Nouveau Petit Robert. // Le Nouveau Petit Robert. Paris: Dictionnaires le Robert, 2012.

Rey 2013: Rey, A. Préface du Grand Robert de la langue française. 2e édition (1984-2001). // Grand Robert de la langue française, édition numérique 2013, Dictionnaires Le Robert.

Riegel 2009: Riegel, M., Pellat, J.-C., Rioul, R. Grammaire méthodique du français. Paris: Presses Universitaires de France, 2009.

Schuwer 1994: Schuwer, M. Fonction des équivalences dans un dictionnaire bilingue. // ASp, 3, 1994, p. 83-94. <http://asp.revues.org/4239> (25.01.2018).

Vinay, Darbelnet 2008: Vinay, J.-P., Darbelnet, J. Stylistique comparée du français et de l'anglais, méthode de traduction. Paris: Didier (première édition 1958), 2008.

 

DICTIONNAIRES

Le Nouveau Petit Robert, sous la rédaction d’Alain Rey. Paris: Dictionnaires Le Robert, 1993.

Grand Robert de la langue française, édition numérique. Paris: Dictionnaires Le Robert, 2013.

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© E-magazine LiterNet, 25.01.2018, ¹ 1 (218)