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SOLEIL OPPOSÉ

Dimíter Ánguelov

web

11

Nous étions allés au cimetière mettre des fleurs sur la tombe d’un poète assez connu ou simplement vérifier s’il était vraiment mort - si ce n’était pas encore un mensonge de la communication sociale ( je ne me rappelle plus). C’était un cimetière bien composé (en forme de cœur - déployé entre terre et ciel ) avec vue sur la mer, un endroit agréable, apte à faire oublier la vie à n’importe qui. Spontanément, on a commencé à parler du bonheur:

- On n’atteint pas le bonheur. C’est lui qui nous atteint ou pas. Ne riez pas!

- Le bonheur se sert du rire qui cache mieux la douleur.

- Même lorsqu’on est très heureux on ne résiste pas à la grande séductrice - la banalité.

- Rares sont les choses, même les plus subtiles, qui nous restent en mémoire et se fondent dans notre corps, nos sens, notre être. C’est cette rare subtilité qui nous rend heureux. D’un bonheur qui sourit à la raison avec la plus élégante bienveillance.

- Tout ce dont nous rêvons ne nous rend heureux que si nous avons conscience que c’est inutile.

- Nous avons été heureux pendant presque deux semaines. Ou plus... Il est juste que nous nous demandions qui nous sommes, ou mieux, qui nous étions. Nous ne le savions pas. Parce que nous ne connaissions ni ne voyions pas d’autres gens. Aujourd’hui, tant d’années après, je le sais encore moins. Elle, si elle est encore en vie, ne le saura pas mieux.

- J’ai... tant d’années et je ne suis pas encore arrivé à comprendre pourquoi il faut que je sois triste de ne pas me sentir heureux.

- Le bonheur est toujours un peu angoissant parce qu’on n’y trouve jamais d’explication suffisante.

- Il a été expliqué par les Français: le bonheur ne dure jamais longtemps - c’est pour cela qu’ils disent “bonheur” et non pas “bonnes heures”

- Avoir conscience de cela, c’est presque tragique.

- Tenter de transformer le tragique en bonheur est plus tragique que le tragique.

- Moi, au Loto comme au bonheur, je préfère perdre sans jouer.

- Lorsque nous nous sentons heureux, nous ne sentons pas moins l’énorme poids de ce qui nous transporte.

- Regardez ces photographies - vous pouvez vous faire une idée de mon bonheur.

- Comment as-tu pu être si heureux, en sachant qu’un jour tu allais oublier ton bonheur?

- Le bonheur, je ne l’ai pas oublié. Mais j’ai oublié tout le reste. C’est pour ça que lorsque je regarde ces photographies je me sens heureux.

- Ce n’est pas tout le monde qui a la chance de se débarrasser du bonheur...

- C’est par ici! La route du bonheur est toujours en sens unique.

La conversation sur le bonheur est toujours circulaire. Personne ne se sent bien. Et puis, il est difficile d’en sortir - comme s’il était possible d’atteindre le bonheur, en n’arrêtant pas de parler - un appel désespéré qui finit par ressembler au hurlement d’un chien qui devine la mort de quelqu’un. C’est pour cela que je me suis appuyé à un tombeau pour me reposer. Mais je n’en ai pas eu le temps - un cycliste s’approchait, en roulant de plus en plus vite. Qu’est-ce que c’était? Son regard paraissait déconnecté de tout. Une impulsion frénétique, incontrôlable. Une recherche instinctive de félicité.

J’ai levé le bras pour l’arrêter:

- Vous n’avez pas peur de vous écrabouiller contre une croix?

- C’est plus dangereux sur la route.

- Ni plus ni moins. C’est lamentable de mourir...

- Je ne veux pas vivre! Je veux être heureux!

- La félicité a ses limites - elle ne dépend pas de la vélocité. Là dehors, il meurt tous les jours des gens heureux. Par excès de vélocité.

Il s‘arrêta brusquement, regarda ses pieds et essaya de faire marche arrière.

- La félicité n’a pas de marche arrière.

Il porta ses mains à sa bouche en un geste de préparation à la dernière tentative. Et je le plantai là comme une statue funéraire. A présent, m’étant rapproché, j’entendais la voix de mes amis (qui peut avoir des amis dans un cimetière!?):

- Cela a été une année heureuse - j’ai trouvé cinq trèfles à quatre feuilles en moins d’une demi-heure. Mais je n’ai même pas pu sourire.

- Le vrai bonheur est muet - il ne parle pas, il ne rit pas. Il ne tolère pas ces détails. Mais qui me dit que le “vrai” bonheur est le meilleur? Vous comprenez mon dilemme. Moi, je n’ai jamais cherché de trèfles. J’ai toujours trouvé ce que je n’attendais pas et que je ne voulais pas trouver. Et malgré tout j’ai été si souvent heureux. Vous comprenez à présent mon doute? Au sujet du vrai bonheur.

- Je doute que ce soit possible. Mais j’admets parfaitement que ce le soit. Je me sens même heureux quand je vois quelqu’un qui a le même doute, qui est affligé par le même dilemme. Et je dis avec beaucoup de pertinence: le bonheur est muet. Ah, vous ne savez pas quel plaisir j’éprouve à penser aux dilemmes. Par conséquent, je me tais.

Comme c’est facile et beau de parler du bonheur dans un cimetière ( y penser, non) mais j’en suis arrivé à être saturé de cet enthousiasme et de cette controverse. Bénie soit la lassitude qui est la fin de toutes les préoccupations des vivants et des morts.

 

17

Nous étions en train de prier, mais la douleur de mes genoux devenait insupportable. J’allais renoncer lorsque à côté de moi ma voisine réprouva mon intention:

- Vos rhumatismes s’aggravent parce que vous avez manqué des messes! A présent il vous n’avez plus qu’à les supporter!

Je ne pus laisser passer l’occasion de parler enfin de Celui à qui nous devons toutes les maladies et les guérisons qui en découlent. Je parlai bas, comme il convient dans la maison de Dieu:

- Dieu dans son indifférence ne peut être le sujet d’aucune action particulière, parce qu’il est omniprésent. Et comme il est omniprésent, son action ne peut être intentionnelle. Ne voyez ici aucun vestige de châtiment ou de vengeance! Une nuit j’ai senti dans mon cœur la présence de Dieu - une présence ténue et effrayée. Et je lui ai dit tout bas: “Seigneur, ne T’afflige pas. Je suis avec Toi.”

- Vous avez fini? - me demanda-t-elle.

Je tentai d’adoucir la difficulté sémantico-logique de mon raisonnement:

- Dites-moi encore une chose: qu’est Dieu sinon la nostalgie d’un principe inconcevable?

Mais l’expression de son visage ne devint pas plus amène.

- Dieu a créé d’abord les champignons vénéneux et seulement après les chose comestibles, ajoutai-je.

- Vraiment, je ne comprends pas - s’indigna-t-elle, et elle détourna la tête vers le côté opposé. Mais le soleil passait par une fente et elle dut se retourner et regarder mon visage illuminé. Je poursuivis en guise de citation biblique:

- Et Dieu a pris un peu d’argile, il l’a pressée et y a imprimé la douleur. Et la vie est née. Et il l’a appelé “Adam”. Ce qui veut dire “Etrange”.

Et j’approchai une fleur artificielle de son nez. Devant ce geste inattendu elle s’exclama:

- Ce n’est pas le même dieu qui a créé les fleurs et les hommes!

- “L’acte le plus imbécile de Dieu est d’avoir donné l’intelligence à l’être humain”, pourrait dire quelqu’un. “Mais de quelle intelligence peut-on parler, puisqu’elle est le fruit de l’imbécillité?” pourrait objecter un autre, ajoutai-je pour stimuler sa réflexion.

Mais comme elle ne réagissait pas, je poursuivis:

- La foi, madame, est la réponse la plus facile à une réponse qu’on n’arrive jamais à formuler clairement.

Ce trait l’obligea à se lever et à prendre une posture digne.

- La foi est l’alibi d’un crime que nous ne sommes pas encore capables d’imaginer. Mais c’est aussi le fruit précoce de l’esprit qui se refuse à mûrir.

Elle ne bougea pas.

- La foi nous est un moyen singulier d’être amis de nous-mêmes tels que nous ne sommes pas. Se prononcer au sujet de Dieu, c’est vouloir prendre la vérité en otage - conclu-je.

Elle chercha instinctivement à se situer, ou plutôt, à prendre position, mais l’intelligence ne lui permettait pas de retrouver cet espace sacré où elle devait se sentir en sécurité et pleine d’espérance. Mes paroles l’avaient encerclée sur une petite île, de l’abîme duquel se détachait son horreur impie. Avant de la laisser ainsi pétrifiée dans sa tentative de tromper l’Omniscient avec de fausses promesses, je voulus lui montrer jusqu’où allait mon humilité dans le royaume divin des mots:

- Je n’ai aucun mérite devant Dieu - c’est pourquoi je me sens libre de ne pas chercher à Le définir - à moins qu’il me reconnaisse la modestie de ne rien savoir de Lui.

Un couteau à la main, elle courut vers moi, mais par la volonté divine elle manqua son but et planta le couteau dans le crucifix. Ce fut ainsi que je la laissai. On la trouva morte - la main crispée sur le couteau, dans une posture rigide, pétrifiée, le regard empli de terreur devant le péché mortel. Dans cet acte singulier avaient coïncidé la vérité et le mensonge, à ce point exact où la mort a coutume d’apparaître.

Aujourd’hui elle se trouve embaumée dans ma mémoire, où de temps en temps j’enlève la poussière qui tente en vain de couvrir son crime.

 

32

- Quand il est entré dans le métro un aveugle qui jouait de l’accordéon (c’était à l’époque du Carnaval ou des Présidentielles, je ne me rappelle plus) j’ai attendu un moment que l’inspiration de l’artiste atteigne son point culminant et je me suis mis à danser avec un enthousiasme non moins artistique. Tous les autres sont restés immobiles comme des corps récemment découverts à Pompéi jusqu’au moment où une dame âgée et respectable s’est levée énergiquement et a dit: “Vous n’avez pas remarqué que tout le monde était gêné de votre allégresse? Vous n’avez pas compris ce que ça pouvait avoir d’outrageant pour ce pauvre homme?” J’ai jeté un coup d’œil circulaire et féroce, et d’un seul geste j’ai arraché l’accordéon à l’aveugle et j’ai commencé à jouer une mélodie populaire. Ils se sont tous levés comme un seul homme et leur danse turbulente, frénétique, a déséquilibré le wagon, ce qui, malgré tout, n’a effrayé personne. C’était un bonheur, une extase horrible à voir. Comment expliquez-vous ça?

- Ça n’a pas d’explication. Et je vais vous dire pourquoi.

Mais à ce moment-là les portes se sont ouvertes et il est entré un mendiant qui jouait du cavaquinho*.

- Si ce n’était pas sacrilège je ferais comme cet Indien, Shiva, qui dansait sur les os de sa propre mort.

- Je vois. Mais il y a une différence. Il dansait sur ses propres os parce qu’il était la mort et la vie en même temps.

- Bien sûr, il se tenait debout sur ses propres os, comme tout le monde.

- C’était un dieu.

- Oui. Par manque de gens.

- Pas du tout. En ce temps-là il y avait des gens plus importants que les dieux. Parce que ces derniers, comme vous ne le savez probablement pas, dépassaient en nombre les simples mortels.

- Il y avait seulement un déséquilibre démographique.

- Arrêtons cette valse des suppositions. Ce sont des sources anciennes, dignes de foi. Personne n’est capable de mentir pendant trois mille ans... L’Histoire...

- L’Histoire a été si souvent remise en ordre que le mensonge - dans son essence - finit par devenir une vérité absolue. Quelle vérité est plus parfaite que celle qui n’est reliée à rien?

Mais la foule nous a poussés dehors. J’ai laissé le squelette de cette histoire en plein terrain vague et j’ai pris l’autocar.

 

38

Une après-midi tranquille j’ai vu dans un édifice du Patrimoine National un azulejo sur lequel le Diable respirait le parfum d’une fleur. Une fleur bleue, par-dessus le marché. J’ai tout de suite avisé le Saint Siège. On m’a dit:  “Bien...” Je ne me souviens plus du reste. Et on n’a rien fait. Bon, du point de vue... Bref. Ce n’était qu’un exemplaire unique. S’il y en avait d’autres... Laissons tomber. Avec le temps...

“Nous y voilà! C’est la-dessus que le Diable compte - un exemplaire unique.” “Unique et omniprésent.” “Attention, ne confondons pas les individus.” “Ça devait être quelqu’un d’autre.” “La figure du Diable est seule et unique. Elle ne se confond avec rien ni avec personne.” “Même lorsqu’il s’incarne dans l’image de Notre Seigneur!” “Par la Croix, je crois! Dieu m’en garde, mécréant!” “Avec le temps ils se multiplient. Ils deviennent une sorte d’enfer ambulant.” “Taisez-vous!” “Mensonge! J’ai entrevu l’Omnimenteur pendant quelques instants, Dieu soit loué - aspect angélique, perfection merveilleuse, lucidité mortifère!” “N’importe quoi, ne faites pas attention.”

C’était il y a quelques années. Aujourd’hui, avec le temps, avec l’érosion, il s’est formé autour du Diable une auréole, et de la fleur bleue il ne reste qu’une courbe qui fait penser à la crosse papale. Les vieilles, aussi diaboliquement hypocrites qu’avant, quand elle rentrent de la messe, s’arrêtent près de lui et soupirent, attendries: “Le saint chéri nous attend.”

Et toutes, qu’elles le veuillent ou non, savent très bien qu’elles vont en enfer. Avec ou sans messes. Les pauvres, ce qu’elles ne savent pas, c’est que leur destin fait partie du patrimoine national!

 

44

- “Homme bien élevé, yeux verts, cultivé, propre, donnerait cours de mécanique céleste rue... n°... cave, téléphone... Secret absolu garanti.” N’importe quoi, dit-elle, et elle poursuivit: “Echange loup végétarien contre agneau carnivore.” Tu as vu cette connerie? Qui est-ce qui a besoin d’un loup végétarien? Mais l’idée de l’agneau est curieuse. C’est un homme qui a de l’imagination. Et il dit qu’il s’en occupera.

- Laisse- le s’en occuper. Je parie qu’il n’a même pas l’ombre de ce loup végétarien. Il veut simplement investir dans un savant naïf qui lui produise un agneau carnivore.

- “Je paie pour être seul”! S’il paie, c’est pour ne pas être seul. L’annonce lui sert de prétexte.

-Au moins il ne dit pas: “J’ai beaucoup d’amour à te donner”, ce qui est abominable. Qui est ce “te”?

- Et qui il paie, celui qui n’a même pas de nom? Il paie tout le monde. Supposons. Et qu’est-ce que nous en concluons? Que l’argent ne fait pas le bonheur.

- Mais qui te dit qu’il a de l’argent? Peut-être qu’il rêve d’avoir de l’argent, beaucoup d’argent. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on peut être vraiment seul.

- Il ne veut pas qu’on le dérange. Et on n’en arrive là qu’après s’être débarrassé de quelqu’un.

- Alors il n’est pas seul.

- Non, non. Visiblement il est accompagné en pensée par quelqu’un. ET il veut l’oublier. Rencontrer quelqu’un, le mettre dehors et rester seul.

- “Je demande à tous les amis, quand ils me rencontreront dans la rue ou qu’il me téléphoneront, qu’ils me rappellent leur nom parce que je ne me souviens du nom de personne. Je leur demande aussi qu’ils me rappellent mon nom à moi parce que je ne m’en souviens plus non plus. Et ce sera la meilleure preuve d’amitié.” Comment quelqu’un qui n’a pas d’amis ni de mémoire peut penser à mettre une annonce comme ça?

- Il n’est pas sans amis et sans mémoire. Parce qu’il a encore des vestiges de mémoire - il se souvient de ce qu’il a oublié et exactement de ce qu’il a oublié.

- Dans ce cas son monde était, si tant est qu’il ait pu être avant de ne plus être, un monde de noms.

D’ici, où je suis, je vois les deux personnages comme deux points noirs - ils sont à une table d’orientation déserte à cette heure. Confortablement installés, par un jour de chômage brouillardeux, ils lisaient les annonces et à un moment ils sont arrivés à la conclusion que le monde était amusant. Parce qu’il y avait des gens plus désespérés et plus enfoncés dans leur désespoir.

De là tout paraît une multitude infinie de points - des points sans liens entre eux, des points isolés et sans signification tout le temps qu’aucun regard ne les atteint. De là le monde paraît irréel et il n’y a que les mensonges qui le nient qui lui confèrent une vague substance - la substance dont sont faites toutes les vérités sur l’irréel, le vraisemblable et le probable. Parce que, comme tout le reste dans la vie, elle-même est aussi à peine vraisemblable.

 

55

Appuyé contre un dur rocher, je ris pour ne pas tomber dans l’oubli. Il faut que j’apprenne la prononciation correcte des sentiments les plus nobles. Mais je vois que je tourne le dos à un panneau interminable de rochers sur lequel quelqu’un a écrit d’un vert sombre et vénéneux:“VIE”. Comme il est facile et irresponsable de prononcer ce mot!

Il serait insupportable de voir la pleine extension de notre vie parce que nous sommes différents à tous les instants. J’ai constaté cette vérité simple lorsque je me suis trouvé, pour un instant, à une extrémité de moi-même. Mais cette vérité échappe à la raison, parce que c’est toujours une vérité étrangère. Oui, il y a des vérités de notre raison qui nous font sentir notre raison comme étrangère. Pour être vrai il faut sortir de soi-même à chaque instant. Parce que le vrai ne s’arrête nulle part. Tout ce que nous sommes, c’est un passé qui sommeille. Nous sommes la pointe d’un iceberg qui n’existe plus. Comme elle est basse, l’ambition de s’élever, le regard tourné vers le ciel!

J’ai toujours vécu par pure curiosité. Et le plus curieux, c’est d’observer comme la curiosité se limite et se défend d’elle-même. Combien de fois ai-je demandé: “ Explique-moi ta vie pour que je comprenne la mienne! Explique-moi comme on explique à un étranger qui ne parle aucune langue. Fais-le de façon à ce que l’explication soit pour moi la redécouverte d’un langage obscurci, lointain et oublié”. Et alors nous reconnaissons qu’il est impossible d’exprimer une expérience intérieure par le langage, c’est à dire que nous ne sommes pas faits que d’une nature humaine, mais d’une nature qui dépasse notre compréhension et l’humainement admirable. Cette nature nous oblige à nous écouter et à observer avec les moyens qu’elle induit, indique ou auxquels elle fait allusion par son art toujours occulte. Car tout ce qui est trop clair pour la raison peut se réduire au langage, et celui-ci n’est rien d’autre qu’un instrument abandonné parce que temporairement inutile.

La vie - une chose si minuscule que l’imagination amplifie comme une loupe monstrueuse! Il y a des vies si petites qu’elles nous répugnent en tant qu’insectes, mais c’est notre compassion pour elles qui donne la proportion de notre élévation spirituelle. Qui ne s’attendrit pas quand on lui dit: “j’ai passé les meilleures années de ma vie à souffrir?” Qui ne frissonne pas devant ce mystère?

Il est souhaitable que notre vie empire avant que nous prenions congé d’elle. Lorsque je vois des moribonds en survêtement, rien ne me semble impossible: je ne pense pas que ce soit absurde de s’entraîner à mourir. Mais la vie exige de la simplicité et de l’imagination - la plus grande complexité possible. La vie, même dans la bouche d’un mourant, ressemble à une vague qui se défend contre la mer. Un mourant ne doit jamais souhaiter bonne chance à personne. Son vœu n’est pas souhaitable parce qu’il ne peut l’être. C’est ainsi que les bonnes intentions se transforment, sans qu’il le sache clairement, en ironie, dans une allusion avec laquelle il est né - la mort.

Serait-ce vrai? Chaque vérité est une pose devant une autre vérité. Le cœur a besoin d’une vie entière pour accepter les vérités de la raison, en échange d’une faveur insignifiante: que la raison l’accepte comme faisant partie du même corps.

La vérité est un ensemble de circonstances qui nous conviennent. Même quand on ne le dirait pas, il faut le reconnaître. Et ici la vérité meurt d’être complète. Le reste, nous pouvons le reproduire et le multiplier à l’aide des mots les plus simples. Je vais plus loin - je sais qu’à partir du squelette de la Création on peut déduire le caractère du Créateur. Mais avant d’en arriver là, il me faut attendre. C’est pourquoi je demande simplement au soleil de ne pas m’aveugler, pour que je puisse distinguer ce que je ne veux pas voir.

 


* Petite guitare à quatre cordes, originaire du Brésil. [back]

 

 

© Dimíter Ánguelov
© Traduction de Cécile Lombard
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© E-magazine LiterNet, 07.07.2005, ¹ 7 (68)