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BRUME AVEC UNE FLEUR BLEUE AU MILIEU

Dimíter Ánguelov

web

1

La censure de mon caractère, réputé mauvais, m’entraîna, en peu d’années, dans les grands bras de l’alcool. Et ceux qui furent les plus surpris et les plus impressionnés furent les mêmes gens qui auparavant réprouvaient chaque geste, chaque phrase plus sentie ou simplement expressive. Tous se mirent à me trouver très sympathique, divertissant et spirituel. Les arguments des rares à se déclarer contre le “spirituel” - ils ne doutaient pas le moins du monde qu’un quelconque ivrogne soit suffisamment spirituel vu l’origine du mot - s’écroulèrent avec les premières objections bien fondées.

Cependant, quand ma perfection dans la consommation d’alcool atteignit sa limite, ils se tournèrent tous à nouveau contre moi. Comment était-il possible qu’un individu d’âge moyen, déployant une activité intellectuelle intense, presque sans manger, parvienne à maintenir son équilibre physique et émotionnel, exclusivement par le biais de l’alcool, et par-dessus le marché sans maigrir ni grossir? Ils commencèrent à me regarder, même les plus proches, de façon très soutenue ; les plus moralistes étaient atteints d’une légère chair de poule (cela se remarquait même chez ceux qui avaient les cheveux courts) et les autres m’évitaient avec plus ou moins d’élégance, sauf ceux qui n’étaient pas prévenus et qui, s’éloignant précipitamment, subissaient quelques excoriations aux épaules ou aux clavicules.

Quand je décidai de m’arrêter de boire, sans pour cela devenir abstinent, mon succès fut immédiat, mais le décor se fit plus sombre encore. Il n’y avait plus de doute, j’étais un cas exceptionnel, mais dans la pratique il était impossible de découvrir en quoi consistait mon originalité. Je me maintins quelque temps en marge de cette agitation, bien disposé et lucidement amusé, jusqu’à ce que se manifestent les premiers appels d’amis qui avaient pour objectif unique et bref de savoir si j’allais bien. La calme et ferme réponse affirmative ne leur permettait pas de prendre congé poliment, à deux ou trois heures du matin, et, irrités et confus, ils raccrochaient avant la fin de la phrase.

Après une période de silence mutuel, je décidai de rétablir le contact et constatai rapidement que presque tous avaient été soit internés dans des hôpitaux mal identifiés, ou étaient partis pour des vacances anticipées dont on ne savait pas quand ils revenaient. D’autres avaient partiellement perdu la mémoire et ne se souvenaient pas de moi. D’autres encore faisaient un “grand ménage” ; les esprits les plus forts s’étaient impliqués dans des organisations ou des sectes, ou se dédiaient à des pratiques d’exorcisme et aux sciences occultes. Il y eut un cas où la personne était partie en cure thermale, vu que le diagnostic était peu clair.

Je laissai passer encore un peu de temps, et, peu à peu, j’en arrivai à observer de loin chacun de mes meilleurs et mes pires amis. Ils avaient tous l’air malheureux, les uns désespérés et anxieux, les autres visiblement décidés à vivre. D’autres encore semblaient s’être échappés d’un quelconque asile spécialisé. Devant tant de misère humaine, je me sentis profondément triste et je replongeai dans l’alcool. Je n’eus pas à attendre longtemps pour récupérer mes amis et pour qu’ils récupèrent leur santé physique et spirituelle.

Parce qu’ils se délectent de l’idée fausse que je suis un alcoolique perdu pour qui on ne peut déjà plus rien. Je me limite à penser que mes amis, pour une raison ou pour une autre, vont bien. Dans les limites de leur esprit, bien sûr.

 

2

C’était un voyage monotone et apparemment long. Pour interrompre une certaine somnolence, j’ai dit, à voix suffisamment haute:

- Aujourd’hui le ciel est trop vert.

Mais personne n’a réagi. Ma conclusion, ou ma simple observation, avait paru tout à fait normale. Au bout d’une quinzaine de minutes, j’ai répété:

- En fait, ce vert du ciel n’est pas naturel.

- Je ne trouve pas - a contredit une dame, assise devant moi.

A partir de là je me suis désintéressé de la conversation et je ne me suis réveillé que lorsque j’ai entendu quelqu’un dans un lieu désert - une voix sage, sans passion:

- Il n’est pas d’autre but dans la vie que le chemin. C’est le chemin qui domine toutes nos autres actions. Rien hormis lui. Etre attentif et ne pas perdre de vue le sentier qui nous conduit au vrai chemin. C’est seulement après que nous pouvons nous fondre en lui et trouver le véritable sens de la longue marche.

- Il n’y a que le parfum des fleurs qui puisse se fondre dans le chemin, mais notre esprit... ai-je tenté d’objecter.

- Rappelez-vous l’œuvre de la vermoulure - assimiler le chemin en tant que connaissance du centre du monde, total et unique possible. Le détour n‘est ni direction ni mouvement - à peine manque de matière, absence d’imagination, si vous voulez. Il faut assimiler le chemin parcouru pour se débarrasser de lui et se situer dans un présent libéré du passé et des préoccupations de l’avenir.

- Vous avez déjà vu la vermoulure, personnellement? Je parie que celle contre qui j’ai collé mon oreille n’est pas en bois véritable. C’est un produit synthétique.

- Je reconnais que je n’en ai jamais vu, a -t-il répondu avec modestie et pondération. Mais je l’ai toujours imaginée clairement et mon expérience a confirmé de nombreuses fois cette vision: la vermoulure est le chemin parcouru, la vermoulure et le chemin sont une seule et même chose. Il ne serait jamais possible de trouver la vermoulure au milieu du chemin puisque ni ce qui bouge ne serait la vermoulure ni le reste ne serait le bois.

- Vous parlez comme un sage. Mais cette idée commence à me ronger un peu trop vite. Elle ne me laisse pas suivre mon chemin.

Je me suis levé et je l’ai laissé avec un petit morceau de bois en plastique collé à l’oreille. Il l’écoutait avancer, deviner le chemin parfait: sans vermoulure, sans bois et sans mouvement. Ensuite (j’ai du marcher au moins un quart d’heure), j’ai regardé en arrière et j’ai vu mon interlocuteur toujours immobile, à écouter - c’était une pierre énorme qui de loin ressemblait à une silhouette humaine assise. Le seul mystère, c’est de savoir comment j’ai été capable de voir de si près cette figure humaine. Le reste, qu’elle m’ait raconté la grande vérité au sujet du chemin, c’est la chose la plus facile.

 

12

- Nous avons beaucoup aimé votre livre. Vous avez un style très particulier.

- Je pense, en fait, avoir réussi quelque chose d’original, dis-je avec une certaine modestie et un certain orgueil.

- C’est une prose exiguë, exemplaire, et qui ne ressemble à rien d’autre.

- Votre parabole est enchanteresse.

- Il commence et finit, si on peut le dire ainsi, d’une manière inattendue.

- La fin n’a pas été facile à trouver. Conditionnée par son usage.

- Vraiment, ce n’est pas un livre dont on peut user de n’importe quelle manière, sans tomber dans le néant.

- Son contenu n’est pas pour n’importe qui. C’est pourquoi je suis honoré, Madame l’Ambassadrice, d’avoir pu l’offrir à Votre Excellence et à son époux.

- Il faut savoir le manier.

- A ce point votre métaphore atteint son point culminant! Le néant est difficile à manier. Je le reconnais.

- Ne veuillez pas, par modestie, abdiquer votre talent et déclarer que le contenu est un néant délicieusement achevé.

- J’admire la magnificence avec laquelle vous discourez sur les variantes du néant.

- Il n’y a rien de plus beau que de discourir sur le néant. Vous pouvez me croire. En ce qui me concerne.

- Vous me donnez l’impression d’avoir ouvert et refermé le néant comme on ouvre et on referme un recueil d’aphorismes et d’en avoir saisi l’essence avant d’avoir terminé la phrase.

- Je ne peux rien ajouter, de peur d’en dire trop peu.

- Et le cigare, si ce n’est pas indiscret?...

- Je ne me souviens pas, aussi étrange que cela paraisse, de ce thème...

- Je comprends. Vous n’avez pas ouvert le thème, vous n’avez pas feuilleté le livre-tabatière, de peur de gâcher la fin. Je m’incline devant votre sensibilité.

 

13

Ni les songes de la nuit troublée ni la lente confusion de la citée pervertie ne laissaient présager d’une histoire aussi lointaine. J’absorbai la soupe piquante, puis le porc à l’aigre-doux, et lorsque je remarquai que dans mon verre de bière ne restaient plus que quelques hiéroglyphes de mousse, je demandai à la serveuse de m’apporter le café:

- Que disent ces hiéroglyphes? et je tendis le verre en direction de la fenêtre, où l’on voyait d’autres hiéroglyphes.

Elle regarda la fenêtre, mais elle vit que j’étais en train d’observer l’intérieur du verre.

Elle se concentra et commença la lecture avec une intonation qui me sembla didactique ; et j’eus l’impression d’être un élève attentif et intéressé à en savoir plus sur ma patrie improvisée et ses mystères.

Lorsqu’elle acheva la dernière phrase, son front était couvert de la rosée la plus fine, seulement concevable dans ce lointain endroit où se passait l’histoire.

- Je n’aurais jamais cru qu’une langue puisse être aussi synthétique. Comment est-il possible que tienne dans un seul verre, et vide encore, une histoire aussi longue? demandai-je, exalté et incrédule.

- Je n’ai rien ajouté... dit-elle, comme s’il s’agissait de ses dernières paroles après une sentence d’une injustice cruelle.

- Vous êtes une artiste sans égale! dis-je.

Elle fit un geste qui ne ressemblait à aucune phrase, comme pour dire:  “Je l’admets, mais je n’ai aucun mérite.” Cette modestie me laissa perplexe et désespéré devant une telle perfection. Que pouvais-je faire? M’excuser serait impropre. Ajouter encore des compliments plus grands serait largement insuffisant. Illuminé, je saisis une serviette de table, j’emballai le verre avec le plus grand soin et la plus grande délicatesse qui m’étaient donnés et je fis une révérence avec la sensation d’être Chinois de naissance. Elle s’inclina avec une telle noblesse de mouvement que je pensai un instant être en train de sortir du palais de l’Empereur de Chine. Lorsque j’arrivai dehors, je vis que j’étais dans un endroit étrange, dans un pays étranger, et je ne parvenais pas à me souvenir de ma patrie, de mon point de départ. Tout autour de moi, étrangement connues mais illisibles, se trouvaient des hiéroglyphes indéchiffrables. Quelle langue est-ce que je parlais? Pendant un très long laps de temps je ne parvins pas à me le rappeler. Et soudain je me trouvai en face des Archives de l’Identité.

- C’est là! me dit quelqu’un en désignant du doigt l’entrée des Archives.

- Qu’est-ce qui est là? - demandai-je avec une certaine agressivité.

- Ce ne sont pas les Archives que vous cherchez?

- Je ne cherche rien du tout! Je cherche à déchiffrer ce hiéroglyphe...

- Ce n’est pas un hiéroglyphe. C’est un policier. Je ne connais pas le chinois. - Et il s’en alla.

C’était vraiment un policier, penché au-dessus de la fenêtre d’une voiture, en train de feuilleter les papiers de l’automobiliste. La matraque, le pistolet, le képi, la courbure du corps formaient un gigantesque hiéroglyphe menaçant. Puis j’entendis: “Combien de bières avez-vous bu?”.

Furieux, je jetai le verre sur le sol et je poursuivis mon chemin: le hasard m’avait offert une histoire si belle et l’avait détruite avec une question si stupide et inconvenante.

 

 

© Dimíter Ánguelov
© Traduction de Cécile Lombard
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© E-magazine LiterNet, 07.07.2005, ¹ 7 (68)