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VERTIGES BLEUS

Dimitar Atanassov

web

Je lève les yeux, mais je ne vois rien, rien que des souvenirs qui rassasient le cœur. Et je comprends que tout ce que j’ai vécu est passé dans l’éternité. J’y entre et j’en sors et je ne suis qu’une ombre. Je ne suis plus moi-même, mais le loup qui est en moi-même, une bête féroce et bonne, bénie pour la vie. Le soleil est le démon de mon esprit et la lune - le chrême du désir de jouissance, une dernière nécessité. Et je la cherche dans une confession quand les années s’évanouissent comme un son et que mes forces m’abandonnent.

Ma vie s’en va déjà, mais elle aura été bien embrouillée parce que dans la quête de la vérité je tanguais, ignorant si elle est accessible, et mon esprit se troublait par des brouillards et des magies venues de l’au-delà. J’y étais accoutumé en cherchant un appui pour mon âme, quand je décidai soudain que la foi chrétienne me comblerait de pureté absolue et de pensée sereine.

J’entrai en noviciat au monastère "Saints guérisseurs Côme et Damien" et je suivais avec humilité les préceptes de mon père spirituel, le scribe Caïl qui m’initiait à la vie monastique. Il parlait avec douceur de la nouvelle foi en mettant dans ma bouche des réponses à tout. Mon esprit y était déjà préparé, mais ma nature résistait. Le vieillard le voyait bien, mais jamais il ne me gronda. Conquis par cette persévérance, je suivais mon ombre et, je l’avoue, je manifestai davantage une curiosité bien humaine qu’un acte de foi.

Une source curative jaillissait non loin du monastère. J’avais entendu dire que ses eaux chassaient l’esprit malin des âmes possédées par la folie. Le scribe m’apprit que cet endroit avait été un sanctuaire de Héros, le dieu païen de la vie et de la mort, protecteur des hommes contre les maladies et les maux. Je m’y rendais en cachette. Je n’osais pas invoquer le dieu en prière, mais j’y plaçais ma confiance, je m’agenouillais et buvais l’eau miraculeuse dont j’étais sûr qu’elle préservait mon équilibre mental.

Au cours de cette nuit fatale, point extrême de ma destinée, je me dirigeai de nouveau vers la source. Je fus attiré par une étrange lumière bleue. Je marchais comme dans un rêve, abandonné au désespoir d’être ce que j’étais et de n’avoir pas les forces de changer. Soudain, je crus entendre un bruit: on aurait dit le clapotis de l’eau. J’avançai silencieusement, pris de peur et d’un vague pressentiment. J’abandonnai le sentier et fis un détour par la forêt. C’est alors que je vis la dryade.

Je fus pris de vertige à la vue du corps féminin. Je sentis mes jambes fléchir et la confusion s’emparer de mon âme. Je ne savais pas si je devais continuer à avancer ou rebrousser chemin. Je doutais déjà que ce fût une dryade. Je voyais une jeune fille au corps svelte et souple, nimbé par un doux brouillard. Le rayonnement de la lune faisait étinceler la source avec les reflets froids d’argent liquide. Pendant une seconde je vis ses yeux d’azur profond. Je croisai ce regard fiévreux et je me mis à trembler. Je ressentis une force inconnue. Un appel amoureux me mit debout. Je commençai à courir. J’étais embrasé par un ardent désir, me rendant aveugle et insensible à tout ce qui m’entourait. J’étais près d’elle, je voulais la toucher, m’unir à elle...

J’entendis un hurlement. On cria: "Au loup! Au loup!". Deux ombres sortirent des ténèbres et s’enfuirent en courant. La jeune fille s’enfuit elle-aussi.

Je restai confus, dérouté. Je regardai dans leur direction et j’eus envie de pleurer mais j’avalai mes larmes. Des moines, toujours plus nombreux, sortirent du monastère et vinrent vers moi. Ils chantaient des psaumes et proféraient des imprécations contre le loup assoiffé de chair fraîche. J’aurais voulu que la terre s’ouvrît sous moi pour m’engloutir, mais ce n’est pas parce que j’avais honte. Mon âme était envahie par le sentiment de culpabilité du novice qui a violé son vœu de chasteté.

Ils furent cruels. Ils m’attachèrent mes mains, me bandèrent les yeux et la bouche, parce que j’appelais la jeune fille. Ils me conduisirent à l’église, me jetèrent sur la dalle, avec une chaîne au cou. Ils allumèrent une veilleuse et me laissèrent prier. C’est ainsi qu’on y attachait les fous, pour les guérir.

Devant moi s’animèrent les fresques représentant les tortures subies par les pécheurs en enfer, des ombres et des voix m’assaillirent. Je ne les entendais, ni ne les voyais, je ne voyais qu’elle. Elle était en moi, nimbée dans la lumière bleue bouillonnante et ses mouvements m’affolaient ...

Trois jours et trois nuits je fus laissé sans pain et sans eau. Le quatrième jour, ils laissèrent les fidèles entrer. Je les entendis parler à mi-voix du loup, comme ils m’appelaient. Je lisais dans leurs regards un reproche. Ils priaient, tous, pour mon salut.

Le soir elle est venue. Je la reconnus tout de suite. Je ne vis que sa tête, passée par la porte entrebâillée, son visage rayonna en face de moi et le regard de ses yeux d’azur me fixa. Il n’y avait pas de reproche dans ce regard, il n’y avait qu’étonnement.

Elle n’osa pas entrer.

Neuf jours et neuf nuits, je restai attaché et seul le scribe Caïl m’apportait à manger et à boire. On priait pour le salut de mon âme tous les jours. Mais mon amour grandissait d’heure en heure. J’étais incapable de m’y opposer, il gagnait en puissance dans mon cœur, tel un incendie de forêt. Et je fus récompensé. La jeune fille revint. Elle passa craintivement le seuil de l’église et s’arrêta devant moi. Je fus pris de vertiges bleus. Ils m’engloutirent et je sombrai dans leurs profondeurs. Quand j’eus repris mes esprits, la jeune fille n’était plus là. Pourtant, je continuais à la voir. Je me perdais dans le bleu de ses yeux et je ne voulais pas en sortir. Je hurlais parce qu’en moi hurlait le cri d’amour du loup. Je ne m’estimais pas pécheur, je ne me sentais ni brisé, ni rejeté. Au contraire, je me sentais ennobli et vainqueur d’une chose dont j’ignorais la nature.

Le lendemain elle revint. Cette fois, sa main m’effleura. Elle me regardait avec douceur et affection. Profond et serein, le ciel m’élevait de plus en plus haut ...

Les moines apprirent qu’elle venait me voir en cachette et ceux qui me haïssaient devinrent plus nombreux. Ils m’accusèrent d’avoir entraîné une âme malade et qu’au lieu de prier pour elle et pour son salut, car elle portait un esprit malin, je lui avais communiqué un amour infâme. Je devais être puni pour cela et elle, puisqu’elle était malade, elle obtiendrait le pardon. Car c’est l’esprit malin qui la poussait à prendre ma défense. Sa mère et sa tante l’accompagnaient au cours de la nuit fatale, l’amenaient à la source miraculeuse pour la guérir.

Je n’en croyais pas un seul mot.

Mais la jeune fille ne revint plus. J’avais beau appeler les vertiges bleus et les reflets argentés de son corps, mon cœur resta vide et triste. Je souffrais comme un damné. La chair de mon cou était en sang, écorchée par la chaîne, mes poignets étaient enflés et meurtris par mes entraves. Sans pain et sans eau, je m’évanouissais constamment.

C’est alors que je me sentis aliéné de la foi. Mon esprit s’éclaircit et je rejetai leur justice. J’eus la révélation que la vérité n’était pas la vérité de l’église, pas plus que de la foi. La vérité est dans l’amour que nous portons en nous. C’est cette vérité qui devint un appui pour mon âme et je n’ai pas courbé la tête, je me suis refusé au repentir. Les moines me montraient du doigt, se moquaient de moi et m’appelaient " loup". Mais je leur étais supérieur parce que j’avais connu l’amour.

La neuvième nuit, elle est revenue. Elle portait un livre, elle me libéra de mes entraves et me donna la clé du cadenas de ma chaîne.

Elle s’était enfuie ne serait-ce que pour me voir et avait réussi à convaincre le scribe Caïl de l’aider. Il l’avait bénie, lui avait donné un livre et lui avait dit que l’amour l’avait guérie de l’esprit du mal.

Elle effleura mon visage, me caressa et m’embrassa; je lui pris la main et nous partîmes.

Et toute ma vie, j’ai eu des vertiges bleus. Je suis en eux et ils sont en moi et il en sera ainsi jusqu’à la fin de nos jours...

Je laisse ces notes. Elles sont ma confession. Je la lègue aux lecteurs qui viennent après nous. Qu’ils sachent que la foi recherchée et celle que nous avons perdue sans s’en apercevoir.

Et l’amour est l’unique voie menant à la foi.

 

 

© Dimitar Atanassov
© Venera Radeva, traduit du bulgare
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© E-magazine LiterNet, 03.12.2005, ¹ 12 (73)

Revue periodique, ¹ 27, 2005.