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L’histoire slavo-bulgare
Chapitre II De Paisij de Hilendar C’est à vous que je m’adresse, chers lecteurs et auditeurs3, à vous qui formez le peuple4 bulgare, qui l’aimez et le chérissez tout autant que votre patrie bulgare, et qui voulez comprendre et apprendre ce que d’aucuns savent déjà sur votre peuple; savoir aussi quelle vie vos aïeux et bisaïeux, vos empereurs, patriarches et saints ont dû mener au tout début, et comment ils avaient trépassé! Il vous sera utile de savoir ce que d’aucuns savent déjà sur les hauts faits de vos pères. Tous les autres peuples et clans étrangers en savent bien autant sur eux-mêmes et sur leur langue; ils possèdent des traités d’histoire, et n’importe lequel de leurs lettrés connaît son peuple et sa langue et les fait connaître en les valorisant. De ce fait, j’ai moi aussi consigné par écrit, comme je me devais de le faire, toutes les connaissances ayant trait à votre peuple et à votre langue. Lisez cela et apprenez à le connaître, afin que d’autres peuples ou des étrangers ne vous ridiculisent point ni ne vous reprochent de ne pas en faire de même! J’en vins à aimer énormément le peuple bulgare et la patrie des Bulgares et cela me demanda beaucoup de travail que de compulser divers livres et traités d’histoire avant que je ne réunisse et n’assemblasse en un seul petit volume que voici les œuvres du peuple bulgare. Je l’ai fait pour qu’il vous serve et pour vous adresser un éloge, vous qui aimez votre peuple et votre patrie, et qui aimeriez savoir tout ce qui concerne votre peuple et votre langue! Recopiez ce petit volume et payez pour que ceux qui savent écrire vous le copient, et prenez garde à ne le point égarer! Mais il y a ceux qui ne veulent pas entendre parler de leur origine bulgare, pour au contraire se tourner vers une culture étrangère et une langue étrangère; ils ne se soucient pas de leur langue bulgare, mais apprennent à lire et à parler en grec, en ayant honte de se dire Bulgares. Eh, oh, toi, l’insensé, imbécile que tu es! Pourquoi as-tu honte de reconnaître que tu es Bulgare et ne lis-tu point dans ta langue ni ne la parles? Les Bulgares n’ont-ils pas eu un royaume et un Etat bien à eux? Ils régnèrent pendant tant d’années et furent d’un renom glorieux de par la terre entière. A maintes reprises, ils levèrent l’impôt sur les puissants Romains et sur les sages Grecs. Empereurs et rois leur accordaient leurs princesses en épouses, pour être en paix et amitié avec les empereurs bulgares. De toute la race des Slaves, les plus illustres furent les Bulgares; ils furent les premiers à prendre le titre d’empereur5, les premiers à avoir un patriarche, les premiers à embrasser la foi chrétienne et c’est eux qui conquirent le plus vaste territoire. Si bien que, de toute la race des Slaves, ils furent les plus puissants et ceux que l’on honorait le plus, et les premiers saints qui illuminèrent le pays slave furent des représentants du peuple bulgare, et tout cela, je l’ai narré dans ce traité d’histoire, comme je me devais de le faire. De tout cela, les Bulgares trouvent attestation dans un grand nombre de ces traités, car tout est véridique dans ce que j’ai dit des Bulgares représente la vérité. Mais pourquoi diantre as-tu honte de ton peuple, insensé, et quel besoin as-tu de parader6 en langue étrangère? C’est que, dit-on, les Grecs seraient plus cultivés et doués d’un surcroît de sagesse, tandis que les Bulgares seraient une gent fruste et sotte qui ne fait point usage d’expressions raffinées. C’est pourquoi, dit-on, nous ferions mieux de nous assimiler aux Grecs. Mais regarde seulement, insensé, et constate par toi-même: il est beaucoup de races douées de davantage de sagesse encore, et plus glorieux que les Grecs. Pourtant, est-il un seul Grec pour renier sa langue, son éducation et son origine, de la manière dont toi, tel un fou, tu y renonces ? Tu ne saurais tirer le moindre profit de la sagesse et du raffinement des Grecs. Toi, le Bulgare, cesse de te bercer d’illusions, apprends à connaître ta patrie et ta langue, instruis-toi dans ta propre langue: la simplicité et la débonnaireté bulgares valent bien mieux! Les rustauds bulgares accueillent sous leur toit quiconque frappe à leur porte, en lui offrant de quoi manger, et donnent l’aumône à quiconque la leur demande; tandis que les Grecs si sages et si raffinés ne le font guère. Bien au contraire, ils prennent tout aux gens de peu et les volent injustement; avec leur sagesse et leur raffinement, ils trouvent bien plus d’occasions de chute que d’occasions de montrer du mérite. Ou bien c’est que tu as honte de tes origines et de ta langue en face des sages et des glorieux marchands de la terre, parce que les Bulgares sont des incultes, et qu’en ces temps présents, il en est bien peu parmi eux qui soient tout à la fois commerçants et lettrés, intelligents et célèbres sur terre, mais que la plupart d’entre eux sont de simples laboureurs, des bêcheurs, des pâtres ou de simples artisans? Moi, je te répondrai brièvement à ce sujet. Depuis Adam, jusqu’à David, Joachim le Juste et Joseph le fiancé, aucun de ceux qui furent des Justes et de saints prophètes, des patriarches, ou qui se désignèrent comme des notables sur terre et devant Dieu, aucun d’eux n’aura été ni un commerçant, ni un personnage très fin et orgueilleux comme le sont les finauds d’aujourd’hui que tu tiens en haute estime et que tu admires, et dont tu adoptes la langue et les coutumes. Mais tous ces aïeux qui furent des justes ont tous été des paysans et des pâtres, et leur richesse se constituait de bestiaux et de fruits de la terre, et c’étaient des gens simples et sans méchanceté sur cette terre. Et Jésus en personne même descendit dans le foyer du pauvre Joseph et y vécut. Je te ferai remarquer que Dieu aime davantage les simples et bons pâtres et laboureurs, et que c’est eux qu’il a chéris et glorifiés en premier sur la Terre, alors que toi, tu as honte parce que les Bulgares sont des rustauds, des pâtres et des laboureurs peu intelligents. Tu abandonnes ton peuple et ta langue pour au contraire vanter la langue étrangère. Et ce faisant, tu suis en sus leur coutume! C’est ce que j’ai vu faire à un grand nombre de Bulgares: ils s’égarent après la langue et les coutumes des autres, tandis qu’ils dénigrent les leurs. C’est pourquoi j’appelai ici même ces gens des renégats, car ils n’aiment ni leur peuple, ni leur langue. Et à vous, qui êtes de fervents zélateurs de votre peuple et de votre langue, je dédie cet écrit afin que vous sachiez que nos empereurs bulgares, nos patriarches et évêques n’étaient guère dépourvus d’annales historiques et ecclésiastiques pour consigner tout ce qui arrivait d’important. Ils régnèrent, ils exercèrent leur domination en ce monde pendant tant d’années... Ils possédaient moult pieuses légendes et célébraient moult messes en l’honneur des saints bulgares. Mais en ce temps-là, il n’y avait pas d’imprimeries slaves, et, de par leur négligence, les gens ne recopiaient pas les textes. De ce fait, il était rare de pouvoir trouver de tels livres. Lorsque, soudain, les Turcs conquirent les terres bulgares, ils détruisirent et incendièrent les églises et les monastères, de même que les palais des empereurs et des évêques. En ce temps-là, les gens fuyaient à cause de la peur et de l’horreur suscitées par les Turcs, afin de se maintenir en vie. En ces temps troublés, les traités d’histoire et les chroniques ecclésiastiques furent égarés, de même que les pieuses légendes d’un grand nombre de saints et les livres expliquant comment il fallait célébrer leurs offices. De sorte qu’aujourd’hui, l’on ne peut plus trouver les chroniques qui relataient en long et en large tout ce qui avait trait à notre race et à nos empereurs bulgares. Je compulsai moult livres, un très grand nombre de livres, après les avoir dénichés, mais je ne sus trouver ce que je cherchais. Dans beaucoup de traités d’histoire manuscrits ou sur des incunables, l’on ne trouve oncques que peu de renseignements, et qui plus est parcellaires. Dans certain abrégé d’histoire, un nommé Mauro Orbini, Latin de son état, puisa des informations sur les empereurs bulgares dans un traité d’histoire grec, mais icelles s’avèrent être fort brèves. C’est à peine si l’on a pu y trouver leurs noms et l’ordre selon lequel ils se succédèrent. Mauro Orbini note lui-même: "On dit que les Grecs, par suite de leur jalousie et de leur haine envers les Bulgares, ne rapportent les actes courageux et les hauts faits des empereurs et de la race bulgares que fort succinctement; qu’ils rapportent des contrevérités quand ça les arrange, sauf à se sentir penauds, car les Bulgares les mirent maintes fois en déroute, en exigeant chaque fois qu’ils payassent tribut à leurs conquérants". Cestui Mauro Orbini et beaucoup d’autres traités d’histoire, je les mis côte à côte et, en les comparant, je diffusai et compilai de quoi faire ce petit livre. Bien que l’on trouve dans beaucoup de livres, et fort succincts, quelques renseignements sur les Bulgares, tout le monde n’est pas en mesure de se procurer ces livres, encore moins de les lire ou de s’en remémorer le contenu. C’est pour cela que j’assemblai ce tout après mûre réflexion.
NOTES: 1. Ce passage autobiographique ne figure que dans le manuscrit de Zographon. Il suit la première préface. [back] 2. L’adresse n’a de sens que si on se situe dans le contexte de l’époque: le texte était destiné à être lu à voix haute à ceux qui n’étaient pas capables de lire (et de recopier le texte) par eux-mêmes. [back] 3. Une novelle preuve du fait que le texte était censé être lu à voix haute. [back] 4. Pour la plupart des auteurs de langue slave, rodŭ et narodŭ sont des termes équivalents, désignant dans un premier temps le peuple, puis la nation. Le bulgare moderne est la seule langue slave dans laquelle narodŭ continue à désigner le petit peuple, et non pas la nation dans son ensemble. C’est ce qui explique que les Bulgares (parfois aussi les Macédoniens) ont besoin de recourir au mot d’emprunt nacija, même si celui-ci est ressenti comme un emprunt négativement connoté: aucun autre mot ne met sur un pied d’égalité toutes les couches sociales. [back] 5. Dans tout le texte, car est traduit par "empereur" afin de souligner la solennité du titre, lequel ne signigie plus que simple roi en bulgare moderne. [back] 6. Dans le Rečnik na bălgarskija ezik, tome II, Sofija, 1979, Izdatelstvo na bălgarskata akademija na naukite, "séduire" est le septième sens listé de vlača se. Vlača se po dénote l’idée d’efforts peu naturels faits pour plaire. [back]
© Paisij de Hilendar
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