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UNE PARTIE DU PAYSAGE

Georgi Veličkov

web

La femme s’était logée dans le paysage de son âme - presque tous les jours, elle la voyait près de la benne à ordures, mais ce matin-là, sans l’avoir prémédité, Mina partit à son encontre. Dépassant la Mercedes, dont, déjà, la portière de droite avait été ouverte par le chauffeur, elle trouva un billet de cinq léva1 dans son portefeuille et s’approcha. Avant même qu’elle n’ait eu tendu le billet, cependant, elle comprit qu’elle se méprenait sur quelque chose.

D’un âge un peu plus mûr que le sien (sans doute proche de la quarantaine), la femme aux cheveux ondulés plissait les yeux, des yeux qui laissaient filtrer une lueur grisâtre. Elle scruta le billet qu’on lui tendait, puis dit:

"Je ne fais pas la manche". Derrière Mina, Sergej, le garde du corps, s’ébroua comme un animal irrité2, et elle-même se retint de peu pour ne pas lui coller une gifle. Dans la voiture, le chauffeur bâilla - "Ceux-là ont juste trop la flemme de travailler". "Elle fait la fière comme un coq sur son tas de fumier, donna libre cours à sa colère Mina. Et puis quoi encore?!".

Assis sur la banquette de devant, Sergej se retourna, souriant avec sa fossette. Mina eut envie, comme d’autres fois, de se blottir contre lui, enserrée entre ses longs bras, de sentir la puissance de son torse, et ses mains, et ses lèvres. Seulement, cette fois-ci, ce n’est pas l’amour-propre seyant à sa classe qui la piqua: elle se sentit vieille, trop vieille pour ce gaillard de vingt-deux, vingt-trois ans.

Des téléphones sonnèrent jusqu’à midi, les heures des rendez-vous d’affaires se chevauchaient en dépit de sa sécheresse dans les conversations, à deux reprises elle haussa légèrement le ton à sa secrétaire, puis se le reprocha, même si la bonne femme ne récoltait que ce qu’elle avait semé. Presque sans s’asseoir, Mina cassa la croûte dans le restaurant de sa boîte puis, durant l’intermède d’une cinquantaine de minutes, elle fit un saut à Bojana3. Le rez-de-jardin de son nouveau pavillon venait d’être terminé, on était en train d’édifier les murs du premier étage.

"On nous vole! chuchotait hystériquement son beau-père derrière elle. Les matériaux s’envolent comme des...

- N’est-ce pas pour ça que je te paye! l’engueula Mina. Je veux que tu te tiennes sur le qui-vive!

- On va me zigouiller! Ils t’égorgeraient leur propre mère pour de l’oseille.

- Bon, on va pas se mettre à faire la manche, quand même, fit Mina, prenant en pitié sa dégaine déconfite, mais en ajoutant: je t’envoie quelqu’un d’autre pour te donner un coup de main. Celui-là sait s’y prendre..."

Sur le coup de six heures, elle avait déjà le vertige, alors qu’il lui fallait honorer un cocktail avec des hommes d’affaires, lequel aurait lieu à l’Ambassade d’Allemagne. Lors de la traditionnelle "goutte" de whisky dans le bureau du chef, Mina pria celui-ci de la libérer.

"Tu t’y connais en langues, fit-il tout en clignant de l’œil et en portant la main sur le petit crucifix qui ornait son poitrail velu. Tes petits billets verts ne tombent pas du ciel".

A l’Ambassade, un petit Allemand blond affublé d’un petit bedon de buveur de bière4 se prit à coller Mina, s’escrimant à lui dépeindre avec force détails ses activités de médiateur commercial. Pour tout dire, les relations d’affaires se limitaient à des toasts circonspects, proposés par les étrangers, à la prospérité de la Bulgarie, et à des tentatives de la part des indigènes pour flairer l’aubaine du plus loin qu’ils pouvaient. Mina parvint tant bien que mal à se débarrasser de l’Allemand; elle libéra son garde du corps et fut à l’heure au rendez-vous de neuf heures avec Trifon.

"Je suis fatiguée", dit-elle dans un gémissement, tout en secouant ses cheveux ondulés, mais il la traîna jusqu’à leur bar. Trifon raffolait des danses latino: il faisait de sacrées épates, lui et son corps svelte et robuste d’ancien sportif qui savait s’entretenir se voyaient gratifiés de l’admiration du public féminin. Mina dansait rarement plus de deux ou trois fois par soir avec lui; tantôt c’était aux jambes qu’elle avait mal, tantôt à la tête, et d’ailleurs elle se sentait mal à l’aise sur le dancing, mais elle ne lui en voulait pas d’inviter d’autres femmes à danser. Elle aimait sa vitalité, sa spontanéité, beaucoup de ses qualités, mais différait toujours la réponse à ses insistantes propositions de mariage.

"La thune, c’est fait pour procurer du plaisir, soutenait Trifon. En famille, les plaisirs unissent jusqu’à la tombe."

En réalisant de minutieuses recherches, Mina avait fini par s’apercevoir que les activités de professeur de tennis chez les particuliers et de sparring-partner au service de politiciens et hommes d’affaires rapportaient gros à ce dernier, lui qui ne souffla jamais mot sur la possibilité de l’entraîner, elle. Elle se croirait moralement obligée de le payer, mais prenait d’avance peur qu’il n’acceptât la rémunération.

"Je suis lessivée", lui dit Mina, cette fois-ci avec plus de résolution dans la voix, lorsque Trifon voulut qu’ils aillent dans son appartement.

Sa migraine se manifesta derechef au petit matin. Mina avertit de son indisposition avec son téléphone portable; bien que son chef eût farouchement gueulé, elle décida de se prélasser dans son bain chaud pendant une heure au bas mot. Elle se dévêtit, mais voici que la glace murale l’attira vers elle. Ses hanches avaient grossi, son ventre n’était plus vraiment plat, cerclé de petites couches de cellulite, ses épaules potelées...

"Il va falloir que je renouvelle ma garde-robe, fit-elle en se tournant vers la bonniche, se voyant déjà faire les boutiques de luxe, les magasins hors de prix (elle pourrait même faire un saut à l’étranger), s’imaginant les tendres doigts des vendeurs l’habiller, la parer, quand elle eut un soudain déclic qui lui fit ordonner: emballe toute mon ancienne garde-robe dans des sacs plastiques et apporte-la lui... Il y a une bonne femme, là-bas, qui fait les poubelles...

- Est-ce qu’elle met des gants?

- Comment veux-tu que je sache si elle met des gants? s’emporta Mina en plissant les yeux. Ca met sans doute toujours des gants, ces mendiantes.

- Ah, oui, celle-là, c’est une ancienne institutrice, expliqua la bonniche, et comme elle voyait que Mademoiselle ne l’interrompait pas, poursuivit: dans le quartier, on l’appelle le petit oiseau. Pasqu’elle sifflote tout l’temps. Tout l’monde pense qu’elle a une case en moins...

- Ils ont dû la licencier, je présume...

- Elle aurait démissionné de son plein gré, s’emballa la bonniche, bien qu’elle eût été choisie par Mina de sorte qu’elle ne fût pas jeune, mais pourtant agile au travail, qu’elle n’eût pas de famille et qu’elle sache se taire. Elle raconte, à ce qu’il paraît, que la pauvreté constitue liberté la plus grande. Ni obligations, ni responsabilités. Un petit oiseau de Dieu.

- Oui, c’est ça, songea Mina, mais c’est toi et moi qui lui gagnons son pain. C’est facile de vivre aux dépens d’autrui. C’a juste trop la flemme, ces gens-là!

- Et les habits, alors?"

Il y avait comme une imploration derrière la question de la bonniche, mais Mina ne sut pas l’interpréter correctement. Elle ouvrit les battants de la garde-robe et décréta:

"Prends ce qui te plait. Pour le reste... Trouve une personne qui en a besoin pour de vrai".

Pendant les jours qui suivirent, Mina s’adonna à la chasse aux toilettes neuves. Il y avait toujours quelque chose pour lui déplaire, quelque chose qui ne fût pas comme il faut, de sorte qu’il fallut faire l’acquisition de moult variétés de tissus.

"Vous êtes encore jeune, Mademoiselle, l’avertit la créatrice de vêtements, embarrassée. En mincissant, vous perdrez vos vêtements...

- Je les changerai une fois de plus! toussota Mina, afin de dissimuler l’émotion dans sa voix."

La première petite neige assombrissant la matinée, Mina s’emmitouflait dans son nouveau paletot de cuir. Elle remit une silhouette familière qui se profilait à côté de la benne à ordures, et, sans guère y penser, partit dans cette direction. Son manteau, à peine étrenné, reposait comme une coulure de métal sur ces épaules inconnues, tandis qu’un pantalon d’Italie en reps, encore immaculé, était visible par en-dessous.

"Je t’ai attendue, dit la femme, après quoi elle l’enveloppa d’une lueur grisâtre. Je savais que, tôt ou tard, tu viendrais". Le garde du corps Sergueï devança Mina et leva le bras pour frapper. La femme tomba à la renverse, de sa bouche jaillit un petit ruisseau de sang, et la lueur grisâtre s’éteignit. Mina se vit comme qui dirait passer les gants et farfouiller les ordures. Tout était en ordre dans le paysage de son âme.

 

 

NOTES:

1. Pluriel de lev, le nom de la monnaie bulgare. [back]

2. On est obligé, ici, d’étoffer la traduction, sans quoi il ne serait pas possible de déduire, en français, l’agacement du fait de souffler par le nez: la communication non-verbale et gestuelle est beaucoup plus développée en Bulgarie qu’ailleurs. [back]

3. Quartier résidentiel à la périphérie de Sofia. [back]

4. Le terme bulgare est calqué sur l’allemand Bierbauch. [back]

 


Georgi Veličkov: carte de visite

Homme de lettres ayant su faire ses preuves, il naquit en 1938 à Sliven. Diplômé de droit, il a travaillé comme avocat, journaliste, dramaturge, rédacteur technique dans divers journaux, revues et éditeurs littéraires. En 1990, il se retrouve député à l’Assemblé nationale constituante, mais n’y tient pas longtemps. Déçu de la politique, il continue à écrire avec une fougue juvénile. Il a publié plus de vingt volumes de prose, de critique et d’écrits journalistiques, en continuant à espérer d’être un jour davantage reconnu qu’il ne l’est et qu’il ne le mérite.

 

 

© Georgi Veličkov
© Athanase Popov, traduit du bulgare
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© E-magazine LiterNet, 20.09.2004, ¹ 9 (58)