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LAISSONS LE TRADUCTEUR CHANTER!

Marie Vrinat-Nikolov

web

Ou de l'engagement du traducteur...

Dans son ouvrage sur Après Babel,G. Steiner insiste sur la nécessaire appropriation d'un texte par son traducteur, sur l'intimité qui se crée entre eux: «S'emparer d'un texte en le pénétrant à fond, en découvrir et recréer les forces vives en un même mouvement (prise de conscience), représente une démarche qu'on ressent dans sa chair mais qu'on peut pour ainsi dire ni expliciter ni systématiser. C'est un problèmes «d'instruments spéculatifs», comme les appelait Coleridge dont l'intelligence allait au cœur des choses. On ne peut se passer d'une intimité gourmande et lucide avec l'histoire de la langue considérée, avec les courants d'affectivité changeants qui font de la syntaxe une image de l'être social.»1 Henri Meschonnic érige la présence du traducteur dans un texte comme une condition indispensable à la réussite d'une traduction: «Plus le traducteur s'inscrit comme sujet dans la traduction, plus, paradoxalement, traduire peut continuer le texte. C'est à dire dans un autre temps et une autre langue, en faire un texte. Poétique pour poétique.»2

Chaque texte traduit révèle en effet l'attitude du traducteur par rapport au texte même, à son l'auteur, aux futurs lecteurs du nouveau texte produit par l'acte de traduction. Traduire, c'est notamment écouter tout ce que le texte dit, soit directement, soit entre et derrière les lignes, assumer avec bonheur ou frustration le dialogue particulier qui s'instaure entre un auteur et son traducteur et la solitude face au texte; c'est aussi prendre ses responsabilités face aux choix que l'on doit faire, les défendre tout en sachant qu'ils ne sont bien souvent qu'une des solutions possibles; c'est enfin apprendre à savoir se placer: recréer la musique et les images d'un discours dans une autre langue, telles qu'on les a perçues, avec sa propre sensibilité, en respectant l'auteur et l'altérité qu'il manifeste dans son discours.

L'histoire de la traduction nous enseigne que, pour des raisons à la fois culturelles, linguistiques, sociales mais aussi politiques, cette attitude du traducteur, assumée librement et spontanément ou au contraire imposée et dictée, a varié autour de deux pôles; pour utiliser des concepts plus contemporains et avec les précautions d'usage face à leur caractère forcément réducteur, comme la plupart des dichotomies dont l'esprit humain semble friand, on dira que le traducteur est plutôt sourcier ou plutôt cibliste. La tradition française, depuis le siècle des «Belles infidèles», qui a laissé jusqu'à présent de profondes empreintes dans notre conception aussi bien du «beau langage» que de la traduction, tend vers le «ciblisme».

Ces dichotomies, qu'Henri Meschonnic nous invite à dépasser3 (ciblistes versus sourciers, empirisme ou pratique versus théorie, fidélité versus trahison, contenu versus forme, etc.) paraissent naturelles en «traductologie», alors qu'elles sont absentes de la critique littéraire. N'est-ce pas paradoxal quand la traduction littéraire procède elle aussi de la (re)création? S'il semble aller de soi, en littérature, que tout est admis et possible au nom de la création, quand il s'agit de traduction, en revanche, le traducteur subit encore trop souvent de multiples pressions (frisant parfois le dogmatisme): celle de l'éditeur, celle du public, plus généralement une pression culturelle, qui visent à l'obsession du correct, de l'admis, du connu. C'est oublier que les langues se sont enrichies - et continuent de s'enrichir - grâce aux hardiesses des traducteurs qui façonnent l'usage à venir.

 

et des vicissitudes de la réception d'une œuvre (originale / traduite)

La lecture de textes contemporains écrits en français par des écrivains francophones, édités par des maisons d'édition prestigieuses en France, suscite pour le moins la réflexion: ces textes sont beaux, poignants, criants, émouvants et vivants par leurs images et leur rythme souvent abrupts, parce qu'ils font violence au rythme et à la syntaxe du français «standard», réputés «naturels». Ces discours trouvent donc leur éditeur et leur public, qui, ouverts et tolérants, savent en goûter l'étrangeté, se laissent émouvoir et emporter par la force d'un Verbe «malmené» au regard de la langue «classique».

Tel cet extrait de La mort de Maximilien Lepage, acteur, de Jacques Borel, publié en 2001 par les éditions Gallimard, où le narrateur, à l'agonie dans un lit d'hôpital se souvient des rôles qu'il a interprétés et s'insurge contre certaines autresmises en scène (p. 26):

«...mais enfin, Elvire, il l'a bien eue, c'est écrit noir sur blanc, et elle a bien, pour le suivre, sa femme, croyait-elle, sa femme, rompu ses vœux, franchi, pour s'enfuir avec lui, la clôture de son couvent, ses grilles, ses portes: une femme, Elvire, pas une vierge, pas une novice, elle en a assez de remords, tout mêlé qu'il soit encore de désir, d'avoir cédé, de s'être donnée à cet amant, là, qui l'a, comme toutes les autres avant elle, abandonnée, et qui sent se ranimer en lui, à la revoir, il ne s'en cache pas, un regain de cette vieille femme: la chasse et la prise, pascalien ou non, c'est ça aussi, ça surtout peut-être, sa plus vive, sa plus lancinante passion, à Dom Juan, et une fois gagnée, la proie, une fois prise - encore faut-il qu'elle l'ait été, et à en juger par Elvire, nul doute possible, il y a bien eu prise, il y a bien eu don - comment, c'est tout de même ça, Dom Juan, bon Dieu!»

Répétitions, incises, rejets, éléments retardateurs, syntaxe passablement malmenée, mépris des règles de l'euphonie traditionnelle («à cet amant, là, qui l'a...»), oralité du rythme (marqué, notamment, par le torrent de virgules): autant de procédés qui confèrent au discours mis en œuvre dans ce texte son caractère hautement émotionnel, passionné, l'impression de pensées qui coulent si vite qu'elles se superposent et se bousculent même, et auxquels on ne reste pas insensible pour peu qu'on n'ait ni le regard ni l'oreille rivés sur la correction (ou la conception que chacun en a).

Dans cet autre passage, c'est l'ordre des mots qui est bousculé pour permettre au discours d'agir plus intensément sur le lecteur:

«...à croire qu'elle serait capable, un instant, un instant au moins, de tenir tête au sale mal qui depuis tout ce temps me ronge, à l'assaut, c'en est à hurler parfois, de la douleur qui ne laisse pas un pouce de la vieille carcasse sans, aigus, acérés, innombrables, y planter ses crocs...»

Le texte hurle, pleure, chante... je ne suis pas certaine qu'on laisserait ainsi chanter un traducteur.

Car bien souvent, celui-ci est victime d'une double violence: l'une, intérieure, vient de sa propre représentation du beau, du bien, du correct, de l'euphonique, bref «de ce qui est français» et de ce qui ne l'est pas. Issue du bain culturel qui est le nôtre depuis que nous apprenons à parler, cette violence fait naître à notre insu des «tics» de traduction qui nous font préférer systématiquement telle ou telle construction, tels ou tels ordre des mots, images, expressions, à d'autres. C'est ce que J-C. Chevalier et M-F Delport nomment «figures de la traduction», dans un ouvrage convaincant et édifiant, remarquablement documenté et abondamment illustré par des extraits de traductions littéraires en plusieurs langues, où le traducteur découvre qu'il obéit, sans le vouloir, à l'orthonymie, l'orthologie et l'orthosyntaxie, à tout ce que l'on croit être la norme, la manière la plus naturelle d'exprimer les choses dans la langue maternelle, dans les domaines lexical, référentiel et syntaxique.4 En ce sens, pour eux, la traduction est le lieu où s'observent les tendances d'une collectivité en matière linguistique. D'où la nécessité, pour le traducteur d'accompagner sa pratique par une réflexion lui permettant d'opérer de véritables choix, conscients et motivés.

La seconde violence est extérieure et beaucoup de traducteurs y sont, à un moment ou à un autre, confrontés: c'est celle que peuvent exercer sur lui éditeurs, correcteurs et «préparateurs» de textes au nom du sacro-saint goût du public (or le public fait souvent preuve de son ouverture!). Cette violence en fait est dirigée contre le texte originel auquel il n'est pas fait référence: en criant aux contresens, faux-sens, bourdes, maladresses, ordre des mots malmené, inepties (l'arsenal de jugements implacables et définitifs est vaste et varié!), en exigeant du traducteur qu'il lisse le texte, remplace des images originales, abruptes dans la culture originale, pour le moins étonnantes, par des clichés linguistiques («ce qu'on dit en - bon - français») qui neutralisent un discours et lui enlèvent sa force et son pouvoir agissant, ce que l'on vise, ce n'est pas de la traduction, c'est de l'adaptation et je ferais volontiers mienne la définition qu'en donne Henri Meschonnic5: «Je définirais la traduction la version qui privilégie en elle le texte à traduire et l'adaptation, celle qui privilégie (volontairement ou à son insu, peu importe) tout ce hors-texte fait des idées du traducteur sur le langage et sur la littérature, sur le possible et l'impossible (par quoi il se situe) et dont il fait le sous-texte qui envahit le texte à traduire.»

Pourquoi ce fossé criant entre d'une part une lecture ouverte, tolérante, acceptant une forme d'étrangeté dans sa propre langue et, de l'autre, une lecture fermée à l'étrangeté du discours étranger, accusant le traducteur de contresens ou de violence à l'encontre du rythme prétendu naturel du français? L'enjeu est important: par-delà la lecture-plaisir, c'est plus généralement notre rapport à toute littérature étrangère qui est en cause: la littérature comparée, qui s'est singulièrement développée ces dernières décennies et continue d'enrichir le matériau sur lequel elle travaille, repose presque entièrement sur la traduction. Or, c'est du statut et du rôle du traducteur qu'il s'agit: encore considéré comme un passeur, et non un créateur, on lui refuse la liberté qu'on accorde généreusement à l'écrivain... de sa langue maternelle: car en refusant cette liberté au traducteur, inéluctablement, on la refuse également à l'écrivain étranger traduit.

Il est un danger, dans cet état de fait, qui rendra amer plus d'un traducteur: nos lecteurs étant, dans la grande majorité, des «monolingues» (si l'on excepte chercheurs, enseignants et étudiants qui confrontent traduction et original dans un but bien précis, par exemple didactique) qui ne peuvent avoir accès au texte original, une traduction infidèle au rythme et à la musique originels mais sonnant bien, dans la tradition du XVIIe siècle français, sera saluée comme excellente; tandis qu'une traduction laissant entrevoir la musique et les images étrangères et s'efforçant de faire entendre la voix d'un auteur et ressortir ses images, peut être rejetée, voire vilipendée. On est bien loin de la belle définition d'Antoine Berman, qui affirmait que «l'essence de la traduction est d'être ouverture, dialogue, métissage, décentrement. Elle est mise en rapport ou elle n'est rien.6»

Je finirai sur un appel: cessons de considérer le traducteur littéraire comme un apprenti ou un collégien tout juste capable d'aligner seul quelques phrases correctes dans sa langue maternelle, laissons-le nous dévoiler un discours étranger avec son propre rythme, sa propre musique, ses images, permettons-lui d'agir sur nous dans notre langue comme le texte original a agi sur ses lecteurs, accordons-lui plus de liberté, d'essor, d'espace créateur...

Laissons le traducteur chanter!7

 

 


1. George Steiner, Après Babel, 3e édition, Paris, Albin Michel, 1998, p. 61. [en arriere]

2. Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Paris, verdier, 1999, p. 27. [en arriere]

3. Ibid. , p. 22 etsq. Pour l'auteur, «il n'y a qu'une source, c'est ce que fait le texte; il n'y a qu'une cible, faire dans l'autre langue ce qu'il fait» (p. 23). [en arriere]

4. Jean-Claude Chevalier, Marie-France Delport, L'Horlogerie de saint Jérôme, Problèmes linguistiques de la traduction, Paris, L'Harmattan, 1995. [en arriere]

5. Henri Meschonnic, op. cit. , p. 185. [en arriere]

6. Antoine Berman, L'Epreuve de l'étranger, Culture et traduction dans l'Allemagne romantique, Paris, Gallimard, 1984. [en arriere]

7. Cf. «Alors la traduction chantera», Henri Meschonnic, op. cit. , p. 142. [en arriere]

 

 

© Marie Vrinat-Nikolov
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© E-magazine LiterNet, 06.07.2002, No 7 (32)

Other publications:
TransLittératures, TL 21, été 2001, p. 34/38.